Monday, March 12, 2012

SOMETHING ABOUT... LE POST DU WEEKEND 6




"À 18h09, ce 14 septembre, Louis quittait pour la dernière fois son atelier.

Toute sa vie, il l'avait consacrée au souci du détail, et à l'élégance. Il en avait vu des hommes défiler dans sa boutique, grand, beau, moche, petit, gros... con aussi. Il avait été comme un confident, présent dans les moments importants de ses nombreux clients. Il apportait les conseils de dernière minute, les encouragements avant de s'engager pour la vie, les sourires rassurants, jusqu'à remplacer parfois un père absent pour certains, ou un frère pour d'autres.

C'est après la guerre, lorsque le travail ne manquait pas, qu'il avait repris la boutique de son défunt grand-père, avec son petit frère Jacques. Ils avaient travaillé dur ensemble presque dix ans, jusqu'à ce que celui-ci parte vivre dans le sud avec sa femme. Louis n'avait jamais quitté Paris, et ne s'était pas marié. Il avait eu des aventures, et des histoires plus longues, mais il n'avait pas retrouvé pareil amour qu'à ses 20 ans. Et devenir tailleur lui avait toujours semblé être ce qu'il avait de mieux à faire. C'est pourquoi il s'y était investi corps et âme depuis ces 60 dernières années. Jusqu'à ce jour.

Il avait rencontré un jeune homme, passionné comme lui, indépendant, solitaire, travailleur et romantique, qui pensait que le métier de tailleur était un métier d'âme qui ne devait pas se perdre, et qui ne devait pas se voir enterré par le prêt-à-porter. Il était entré dans sa boutique trois ans plus tôt. Aujourd'hui, il était prêt à pendre sa relève. Bien que le coeur légèrement pincé de fermer ce livre, Jacques laissait sa boutique, confiant et heureux de savoir que l'oeuvre de sa vie n'était pas vaine."



Ecrit par W. Marcel
Photo par Mlle Hofmann

Saturday, March 03, 2012

SOMETHING ABOUT... LE POST DU WEEKEND 5



"Même si je ne sais pas lire, je sais ce que les hommes pensent de nous. L'un d'eux, qui prenait le temps jadis de nous nourrir mes amis et moi, nous confia la définition que l'on trouve dans les dictionnaires usuels.

Il est vrai que nous ne sommes pas décrits comme l'aigle, le rouge-gorge, la pie, ou la jolie colombe. Celle-là même qui, entre nous soit dit, n'est qu'une pâle copie de notre espèce. Retirez-lui sa blancheur pure qui lui vaut une place à certains mariages, et vous n'y verrez que du feu !

Nous, nous ne sommes que de simples oiseaux, que les passants n'admirent pas, à qui certains enfants jettent des pierres, et dont le sens figuratif signifie "être pris pour un idiot". Nous sommes aux yeux de tous, semblables à ces individus ordinaires, que personne ne considère vraiment puisqu'ils se fondent aussi bien dans le paysage hivernal, qu'un arbre dépourvu de ses feuilles.

Notre robe n'a rien de particulier, notre tête fait un drôle de mouvement lorsque nous marchons; c'est vrai, je vois les êtres humains nous imiter quelque fois en riant. Nos ailes sont courtes, ce qui ne nous permet pas de voler avec grâce vers un atterrissage élégant.

Nous sommes une espèce à l'allure empotée qui ne nous vaut pas l'oeil curieux des artistes.


Pourtant, je me souviens de ce jour-là. Une jeune femme s'est avancée vers nous, pendant que ma famille et moi profitions de quelques rayons de soleil pour nous dorer la croupe. Elle avait le regard attendri, mais pas de ceux qui retranscrivent la pitié, non ! Elle a chuchoté quelques mots doux, et s'est mise à fouiller dans son joli sac de cuir marron. Elle en a ressorti un appareil photo, et alors que certains d'entre nous se mirent à roucouler de scepticisme, elle nous dit qu'elle nous trouvait beaux, là, au bord de l'eau. Elle nous a demandé de rester naturel, de ne pas faire attention à elle.

Et je me souviens de cet instant magique comme d'hier, parce que ces quelques minutes d'attention me permettent aujourd'hui de vous confier ceci: je sais que l'être d'apparence le plus banal qui soit, mérite que l'on pose un jour son regard sur lui, et que l'on s'y attarde. Mais ceci, dans l'histoire des pigeons, jamais personne ne vous le dira."



Ecrit par
W. Marcel
Photo par Mlle Hofmann